mercredi 17 juin 2009

* De plus en plus de variétés végétales brevetées en Europe

Ces dix dernières années, près de 80 variétés végétales ont été brevetées en Europe, et ne peuvent plus être utilisées librement à des fins de sélection. Plusieurs ONG ont déposé des recours contre ces brevets. L’Europe se démarquera t-elle des Etats-Unis, où ces brevets sont devenus monnaie courante ?

Plusieurs ONG, la Déclaration de Berne, Greenpeace, Misereor, « Pas de brevets sur le vivant », Swissaid, ainsi que des coopératives de paysans d’une vingtaine de pays se mobilisent depuis plusieurs mois contre les brevets européens couvrant des variétés végétales, une pratique en cours en Europe depuis dix ans.

La Convention sur le brevet européen de 1973, révisée en décembre 2007, prévoit des exceptions à la délivrance d’un brevet. Ne sont pas brevetables, en particulier, « les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux ». Cependant, dans son article 4.2, la directive européenne sur les inventions biotechnologiques du 6 juillet 1998 indique qu’une invention portant sur des végétaux ou des animaux est brevetable si sa faisabilité technique « n’est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée ». Suivant cette logique, la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB), à Munich, a estimé, le 20 décembre 1999, qu’une demande de la société Novartis portant sur des plantes transgéniques antipathogènes était acceptable car elle ne visait pas une variété végétale particulière : « Une revendication dans laquelle il n’est pas revendiqué individuellement des variétés végétales spécifiques n’est pas exclue de la brevetabilité, même si elle peut couvrir des variétés végétales ». En pratique, l’OEB admettait donc qu’une variété végétale puisse être brevetée dans le cadre d’un brevet étendu à plusieurs variétés.

Depuis, près de 80 variétés végétales, transgéniques ou non, ont été brevetées par cette procédure de brevets regroupés. L’Union européenne a rejoint ainsi les États-Unis, l’Australie ou le Japon, où des variétés végétales sont protégées par des brevets. La conséquence, c’est que les variétés ainsi protégées ne peuvent plus être librement utilisées à des fins de sélection. Ce qui inquiète tous ceux qui se souviennent que les développements agronomiques, telle la « révolution verte » des années 1960, reposent sur la collaboration internationale et le libre-échange du matériel génétique de plantes ou d’animaux. La multiplication des brevets semble par ailleurs répondre à un besoin d’établir des monopoles industriels, car le certificat d’obtention végétale (COV) établi par la convention UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) assure une protection juridique identique à celle du brevet, tout en autorisant le libre usage de la variété protégée pour en créer de nouvelles. De plus, le COV permet aux agriculteurs de semer une partie de leur récolte de variétés protégées appartenant à certaines espèces traditionnelles, à condition de rémunérer l’obtenteur du certificat.

Les brevets sur les variétés sont aussi contestables et contestés pour des raisons juridiques. Il en est ainsi de deux brevets qui font actuellement l’objet d’un examen par la Grande chambre de recours de l’OEB. Le premier (EP 1069819) a été accordé à la société britannique Plant Bioscience pour une méthode permettant de développer un composant spécifique des variétés du chou brocoli (Brassica oleracea var. italica) grâce à des procédés de sélection traditionnels. Ce brevet inclut les procédés de sélection, ainsi que les graines et les plantes comestibles du brocoli obtenues à partir de ces procédés de sélection. Il est contesté devant l’OEB par les sélectionneurs Limagrain et Syngenta au motif qu’il se réfère à un procédé « essentiellement biologique », la sélection traditionnelle, qui ne peut être protégé par un brevet selon la Convention sur le brevet européen et la directive biotechnologique de 1998.

Le deuxième brevet européen contesté (EP 121192) a été obtenu par le ministère israélien de l’agriculture. Il décrit un procédé d’obtention d’une tomate ridée, à teneur en eau réduite. Cette tomate, adaptée à certaines productions alimentaires comme le ketchup, est obtenue par croisement de l’espèce commune Lycopersicon esculentum avec une espèce sauvage, Lycopersicon hirsutum. Les grappes de tomates restent plus longtemps que d’habitude sur les plants au-delà de leur maturation, jusqu’à avoir une peau ridée. La procédure ne comporte donc essentiellement que des procédés biologiques, ce qui aurait dû empêcher la délivrance du brevet. C’est cette fois la société Unilever qui le conteste devant l’OEB, arguant en outre que ce brevet ne fait preuve ni de nouveauté ni d’activité inventive.

Pour les ONG, les décisions à venir de la Grande chambre de recours sur ces deux brevets seront emblématiques de la position européenne dans le domaine agroalimentaire. Leur annulation limiterait l’extension des brevets aux variétés végétales dès lors qu’une inventivité minimale n’y serait pas attachée. En revanche, la confirmation de ces brevets signerait la « mise en danger de l’alimentation mondiale » puisqu’elle légitimerait des protections juridiques couvrant des filières entières de production. Le risque serait que la sécurité alimentaire soit de plus en plus aux mains de multinationales de la chimie et des biotechnologies.

Par Luis Andres

Source: http://www.vivagora.org/spip.php?article449

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